Le potentiel d'amélioration cognitive de la neuromodulation
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Psychiatre clinicienne Responsable de la recherche translationnelle chez Parasym. |
Depuis Hippocrate, la science (et l’art) de la médecine a toujours été consacrée aux soins des malades, développant ses méthodes et son savoir autour du concept de « maladie ». À côté de cette approche thérapeutique, dans les sociétés passées, les mesures préventives étaient plutôt promues par des règles religieuses d’hygiène, qui visaient à prévenir les maladies infectieuses et les carences nutritionnelles ; finalement, la médecine scientifique a évolué vers le concept de « santé », intégrant la prévention dans ce que l’on appelle aujourd’hui la médecine préventive.
Le changement de paradigme ultime est allé encore plus loin : si la restauration de la santé est l’objectif nécessaire de tout traitement médical, c’est désormais l’amélioration du bien-être qui est devenue l’objectif aspiré de toute pratique médicale. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de la psychologie positive, où de nombreuses stratégies pour augmenter les fonctions cérébrales ont été étudiées et proposées. D’autre part, dans une société de l’information de plus en plus complexe, le fonctionnement cognitif est devenu l’atout le plus précieux.
L’amélioration cognitive (tout comme l’intelligence) est un concept multidimensionnel qui peut être défini comme « l’amplification ou l’extension des capacités fondamentales de l’esprit par l’amélioration ou l’augmentation des systèmes internes ou externes de traitement de l’information ».
Fait intéressant, il a été démontré qu’une grande variété d’interventions — biochimiques (c’est-à-dire nootropiques, psychostimulants), comportementales (c’est-à-dire exercice physique, méditation) et physiques (c’est-à-dire stimulation électrique et magnétique) — peuvent améliorer les fonctions cognitives chez des sujets sains. Ces améliorateurs cognitifs diffèrent non seulement par leur mode d’action et le domaine cognitif ciblé — mémoire, créativité, fonctions exécutives ou motivation —, mais aussi par l’échelle temporelle de leurs effets, leurs effets indésirables et leur impact différentiel selon les groupes de sujets.
Parmi les stratégies les plus novatrices, les techniques de neuromodulation visent à améliorer les capacités cognitives par une action directe sur la plasticité neuronale. Plus largement, il est intéressant de noter que les techniques de stimulation cérébrale ont acquis une place importante dans la recherche en psychiatrie, compte tenu du nouveau paradigme qui considère les troubles mentaux comme des troubles de la neuroplasticité (Tom Insel, NIMH).
En plus de leurs applications thérapeutiques, des techniques non invasives, telles que la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS), la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS) ou la stimulation transcutanée auriculaire du nerf vague (taVNS), suscitent un grand intérêt dans le domaine de l’amélioration cognitive grâce à leur profil de sécurité et leur faisabilité.
Un nombre croissant de recherches suggère que la stimulation transcutanée non invasive de la branche auriculaire du nerf vague (taVNS), par l’application d’une stimulation électrique de faible intensité sur l’oreille externe gauche, peut favoriser la plasticité neuronale de manière similaire à la stimulation cervicale du nerf vague (cVNS), dont l’action est impliquée dans la mémoire et l’apprentissage.
Des données récentes montrent que la stimulation auriculaire non invasive du nerf vague (taVNS) améliore les performances cognitives. Une étude récente menée avec les dispositifs Nurosym sur un échantillon de jeunes adultes lecteurs typiques a démontré que la taVNS ciblée, associée à la lecture de passages, peut améliorer la compréhension de lecture, une compétence nécessitant à la fois des aptitudes en lecture et en mémoire.
En particulier, cet effet a été attribué à une amélioration significative de l’apprentissage et du rappel, présente dans le groupe taVNS actif mais pas dans le groupe témoin.
Fig. 1. Illustration de la projection du nerf vague vers des zones clés du cerveau impliquées dans l’encodage des souvenirs.
Figure 2. Résultats aux questions de test. (A) Nurosym a montré un avantage significatif par rapport au placebo sur l’ensemble des questions. (B) Cet effet a été principalement dû à un bénéfice significatif de la taVNS active sur les questions de mémoire. (C) Aucun bénéfice de la taVNS n’a été observé sur les questions de compréhension. Les barres d’erreur représentent l’erreur standard de la moyenne. * p < .05
Figure 3. Performance après l’entraînement. (A) Une tendance vers un pourcentage plus élevé de réponses correctes. (B) La rétention a été significativement plus grande avec Nurosym par rapport au placebo. L’effet était également plus marqué avec la fréquence moyenne ciblée de Nurosym.
Figure 4. Nurosym a réduit le nombre d’erreurs de lecture par passage par rapport au placebo.
Ainsi, nous émettons l’hypothèse qu’associer une stimulation ciblée à la lecture exploite les circuits neuronaux existants pour renforcer la mémoire du contenu lu. Étant donné que la stimulation du nerf vague repose sur une libération précisément synchronisée de neurotransmetteurs tels que la noradrénaline et l’acétylcholine, nous suggérons que ces substances agissent en renforçant les synapses existantes dans le cerveau en développement typique, plutôt qu’en favorisant la formation de nouvelles connexions.
Collectivement, ces données suggèrent que, quel que soit l’âge, la mémoire joue toujours un rôle significatif dans la capacité de compréhension. Ainsi, si la taVNS peut améliorer l’apprentissage et renforcer la mémoire des éléments appris, comme le suggèrent ces données, l’ajout de la taVNS peut être considéré comme un « améliorateur cognitif » destiné à accélérer les bénéfices des interventions comportementales traditionnelles, qui nécessitent généralement des semaines ou des mois de formation régulière.
Nos recherches futures porteront sur le paramètre d’intensité du courant taVNS, afin d’explorer systématiquement comment optimiser les protocoles de stimulation cliniquement pertinents ciblant différentes tâches.
Enfin, bien qu’il existe de nombreuses preuves que la stimulation pendant l’entraînement est efficace pour induire la plasticité neuronale, les recherches futures sur la taVNS devraient comparer la stimulation pendant l’entraînement à la stimulation pendant la consolidation.
D’autres études ont examiné si la taVNS pouvait être une méthode prometteuse pour améliorer l’apprentissage et la mémoire, en particulier l’acquisition du langage. Notamment, en améliorant l’attention sélective et le rappel mnésique, la taVNS a été associée à une amélioration de la lecture, de l’acquisition d’une orthographe nouvelle et de l’apprentissage de catégories phonétiques chez les adultes.
Ces résultats suggèrent que la taVNS associée à une tâche induit un signal neuromodulateur temporellement précis qui améliore sélectivement la perception et la consolidation mnésique des catégories perceptuellement saillantes.
Ces conclusions pourraient avoir des implications intéressantes pour un large éventail de tâches cognitives.
Conclusion
Garder à l’esprit que l’amélioration cognitive n’est pas un phénomène monolithique aidera à aborder les nombreuses questions théoriques, éthiques et scientifiques stimulantes que posent les nouvelles découvertes et techniques en neurosciences.
Références :
The Psychonauts’ World of Cognitive Enhancers, Napoletano F, Schifano F, Corkery JM, Guirguis A, Arillotta D, Zangani C, and Vento A (2020)
Hacking the Brain: Dimensions of Cognitive Enhancement; Martin Dresler, Anders Sandberg, Christoph Bublitz, Kathrin Ohla, Carlos Trenado, Aleksandra Mroczko-Wąsowicz, Simone Kühn, and Dimitris Repantis
Improvement of memory-based reading recall using transcutaneous auricular vagus nerve Stimulation; Vishal J. Thakkar, Zoe A. Richardson, Annie Dang, and Tracy M. Centanni
Ana R. S. Martins, Felipe Fregni, Marcel Simis & Jorge Almeida
(2017) Neuromodulation as a cognitive enhancement strategy in healthy older adults: promises and pitfalls, Aging, Neuropsychology, and Cognition
Edith Kaan, Ivette De Aguiar, Christina Clarke, Damon G. Lamb, John B. Williamson, Eric C. Porges, A transcutaneous vagus nerve stimulation study on verbal order memory, Journal of Neurolinguistics, Volume 59, 2021,
Vishal J. Thakkar, Abby S. Engelhart, Navid Khodaparast, Helen Abadzi, Tracy M. Centanni, Transcutaneous auricular vagus nerve stimulation enhances learning of novel letter-sound relationships in adults, Brain Stimulation, Volume 13, Issue 6,2020,